• Raven - Prologue et ajout du début chapitre 1

    RAVEN

     

    écrit par Cocomilady (tous droits réservés)

     

    Raven - Prologue et ajout du début chapitre 1

     

     

                                                                                    Prologue

     

     



    La nuit était effrayante et glaciale, la tempête faisant rage au-dehors. La pluie tambourinait aux fenêtres dans un fracas assourdissant, à peine adouci par le doux crépitement du feu de cheminée qui brûlait dans l’âtre et diffusait sa douce chaleur dans toute la pièce.  Des hurlements se firent entendre:


    -  Ah ! Mon Dieu, j’ai mal, pitié! Aidez-moi!


    Une femme se débattait sous les assauts ininterrompus de la douleur. Des mèches brunes trempées de sueur collaient à son front, ses traits étaient crispés par la souffrance et l’effort et ses poings agrippaient de toute leur force les draps en coton du lit. Des couvertures et des linges avaient été glissés sous son corps et plusieurs femmes s’agitaient autour de la pauvre créature. L’une d’elles tamponnait sans cesse son visage avec un linge qu’elle plongeait régulièrement dans un broc d’eau froide pour le rafraîchir. Deux autres s’activaient également, l’une sur son ventre proéminent qui paraissait comme animé d’une vie propre et la seconde entre ses jambes écartées, étudiant la progression du travail en cours. Elle lança un long regard aux autres, l’air inquiet face à ce qui se déroulait sous ses yeux. Le col était à peine dilaté mais au niveau de son ventre hypertendu, l’on distinguait cependant la forme des mains, pieds, ou autres, qui s’agitaient à l’ intérieur. C’était comme si le petit être ressentait l’urgence de la situation et savait qu’il devait vite sortir de là et ce, par tous les moyens possibles…
    Trois coups secs retentirent tout à coup à la porte de la chambre que quelqu’un ouvrit avec fracas. Une femme d’un âge avancé, encore belle, s’avança dans l’embrasure de la porte. Ses beaux cheveux auburn formaient un contraste saisissant sur sa peau pâle et diaphane, à peine ridée et ses lèvres douces étaient en totale contradiction avec son regard froid et acéré.


        - Bon alors, tout cela est-il bientôt fini? Puis-je enfin voir mon petit-fils? Décidément, même cela, ton épouse est incapable de le faire correctement! dit-elle en s’adressant à l’homme tendu et inquiet qui venait d’entrer à sa suite. On croirait que l’on égorge une truie! Un peu de retenue, bon sang!


     L’homme, grand, aux cheveux noirs, tressaillit  et tourna son regard angoissé vers le lit, puis il s’en approcha.


        - Ma chérie, je suis là! Tout va bien se passer, ne t’en fais pas! Prends ma main! Murmura-t' il  à l'oreille de la pauvre malheureuse étendue sur la couche.


        - Laisse-moi...! Je n’ n peux plus...! Il ne veut pas sortir…! Mais pourtant je le sens se débattre en moi… il me déchire les entrailles... Ah!!!


     Son cri perçant s’étouffa dans l’oreiller dans lequel elle venait de mordre… L’homme inquiet interrogea du regard les sages-femmes et celle au pied du lit le regarda d’un air sombre, tout en lui faisant un signe de tête négatif. La femme qui s’occupait d’écouter les battements de cœur de l’enfant, paraissait subjuguée par les membres qui jaillissaient, comme prêts à transpercer la peau déjà hyper tendue. Puis, les mouvements cessèrent d’un seul coup. Elle se rua alors vers le ventre gonflé et écouta à divers endroits, son front se ridant de seconde en seconde. Puis elle murmura dans un souffle:


        - Plus rien…Je n’entends plus rien...


        - Non!!


    Un cri furieux jaillit, provenant de l’entrée de la chambre. La femme d’âge mûr se précipita, se saisissant d’un scalpel déposé sur une desserte près du lit. Elle s’élança vers le ventre de la femme inerte, allongée sur le lit:


        - Mon petit-fils vivra! Il est à moi! Ta vie pour la sienne!  Articula-t'elle au-dessus d'elle, telle une démente.


    Elle planta alors le scalpel dans l’abdomen de la femme en apparence inanimée. Celle-ci se mit à hurler avec le peu de force qui lui restait, puis s’évanouit. La scène s’était passée si vite que personne n’avait pu réagir. Elle incisa sur toute la largeur, le sang se mit à jaillir en flots bouillonnants et les draps se teintèrent de pourpre. Quand la plaie fut assez élargie, elle plongea les mains dans l'ouverture sanguinolente et écarta les chairs, révélant ainsi un petit être inconscient. D'un geste vif, elle coupa le cordon qui le rattachait encore à sa mère et jeta le scalpel sur le lit. Puis elle récupéra en toute hâte la petite chose et la tendit immédiatement à la femme tétanisée d’effroi en face d’elle, afin qu’elle la réanime.
        - Dépêchez-vous! Il doit vivre, ou bien vous mourrez avec lui! dit-elle d’un ton glacial.
    La femme effrayée s’en empara, se mit à le frictionner et à s’activer avec les autres, le ventilant, lui massant le cœur pour tenter de lui faire reprendre des couleurs. Puis, au bout d’un moment , des pleurs jaillirent au milieu du silence écrasant. Des pleurs puissants et vibrants, à peine enrayés par le sang qui l’avait à moitié étouffé. Sa grand-mère se rua alors sur lui sans ménagement, l'air satisfait et les yeux brillant d’une lueur de victoire sadique. Elle s’empara violemment de la faible créature, sans aucune considération pour ce petit être chétif. Elle le leva ensuite à bout de bras et la consternation apparut sur son visage.


        - Non, pas cela! Ce n’est pas possible, espèce d’incapable! Une fille... Je ne le permettrai pas! Elle doit mourir! hurla-telle, ses yeux roulant dans leur orbite et la folie déformant son visage.


    Elle s’empara alors du scalpel dégoulinant encore du sang de la mère mais, alors qu'elle allait le planter dans le cœur palpitant de l’enfant, une lumière violente jaillit du nourrisson. La chair de la femme se mit à grésiller, une odeur de chair brûlée se répandit et des lambeaux commencèrent à se détacher de son visage, qui se mit à fondre comme neige au soleil. Les cris d’horreur faisaient écho aux cris de douleur du bourreau, pendant que la chair disparaissait et que les os étaient réduits en une poudre noire et nauséabonde. Sans réfléchir, l’une des femmes s’était ruée pour recueillir l’enfant avant qu'il ne tombe à terre, sans une pensée pour le danger qu’elle encourait. Puis, la lumière s’éteignit et le calme revint. La paix après l’horreur…    


                       







                                                                         CHAPITRE UN

     




        - Raven! Raven! Où es-tu? Le dîner est servi! Il est l'heure!


    Raven, toute à sa rêverie et à sa contemplation, entendit soudain l'écho lointain de la voix qui l'interpellait. Elle s'était assise au milieu de l'herbe verte et tendre, adossée au chêne majestueux qui s'élevait près du lac tout proche. Un sourire apparut sur ses lèvres comme elle se redressait et que le petit animal descendu de ses genoux la regardait d'un air dépité. Elle se baissa alors et caressa la fourrure soyeuse en lui disant:


        - Désolée mon petit bonhomme, mais je reviendrai très vite, je te le promets!


    Elle épousseta ses jupons, se débarrassant des herbes et feuilles qui s'y étaient accrochées. Puis, le minuscule écureuil grimpa dans son arbre, poussant un léger cri comme pour lui répondre. Stoppant son escalade à mi-chemin, il se retourna pour la regarder et lui jeter un dernier regard d'au revoir. Elle sourit à son petit ami et se mit en route, prenant le chemin de la maison. L'angoisse de quitter la plénitude de la forêt lui tordit soudain les entrailles, comme à chaque fois. C'était en effet parmi les animaux et la nature qu'elle se sentait pleinement apaisée, tandis que le contact de la plupart des gens de son espèce lui était particulièrement pénible.


        - Ah! Te voilà! Dépêche-toi ma chérie, le dîner va être froid! lui dit gentiment la femme venue l' accueillir à la porte.


    Comme c'était bon de croiser le regard plein d'amour de sa petite grand-mère adorée, cette femme merveilleuse qui respirait toujours la bonté et la bonne humeur. Bien en chair, elle était petite, la peau fine et légèrement ridée par endroits, avec toujours ce sourire aux lèvres dès qu'elle la voyait. Comme elle l'aimait, comme elle les aimait! Raven déposa un baiser léger sur la joue de la vieille femme, l'étreignit tendrement puis entra à sa suite. Son grand-père était déjà attablé et attendait, l'air réprobateur, même si l'affection qu'il avait pour elle transparaissait dans ses yeux et qu'elle était loin d'en être dupe.


        - Il est tard Raven! Combien de fois t'ai-je dit que tu devais rentrer plus tôt pour dîner! Tout va être froid! Pff la tança-t-il, la mine renfrognée .


        - Oh! Papy! Je n'ai pas vu le temps passer! Je ne l'ai pas fait exprès et je m'en excuse, mais si c'est froid, je peux tout réchauffer si tu le veux! Ne m'en veux pas et arrête de me faire cette mine boudeuse! De qui je tiens à ton avis pour ne pas voir l'heure passer dès que je suis à l'extérieur?  Lui dit-elle,  un petit sourire au coin des lèvres.


    Son aïeul marmonna quelques paroles inintelligibles puis, un léger sourire étira ses lèvres fines tandis qu'il lui tendait le plat de carottes. Ils mangèrent dans la bonne humeur, tout en devisant de tout et de rien. Puis, le repas terminé, Raven se leva pour débarrasser et aider sa grand-mère à faire la vaisselle, son grand-père étant déjà parti se coucher après un baiser de bonne nuit. La petite maisonnette dans laquelle ils vivaient tous les trois était rustique mais confortable, bien que dépourvue de certaines commodités. Elle était en effet allée au ruisseau qui serpentait derrière la chaumière et y avait récupéré de l'eau pour nettoyer leur repas. Une fois cette tâche terminée, elle y était retournée pour remplir le baquet de la salle d'eau et pouvoir ainsi faire sa toilette. C'était son petit plaisir et elle n'y dérogeait jamais, même si c'était long de faire chauffer l'eau nécessaire. Mais peu importait, le plaisir de se sentir fraîche et totalement délassée l'emportait sur ce désagrément. Une fois ses ablutions faites, elle s'installa au coin du feu près de sa grand-mère, comme tous les soirs. Parfois, elles jouaient aux dames, d'autres fois elles cousaient ou tricotaient, bercées par les sons rassurants de la forêt. Ce soir, ce fut le jeu qui les tenta. Après trois parties et comme Raven commençait à bâiller, elles terminèrent une fois encore leur soirée par leur petite infusion habituelle. Elles se souhaitèrent une bonne nuit en s'embrassant avec affection et Raven rejoignit sa chambre sous le toit.

     



               Elle était seule dans cette petite chambre mansardée qu'elle affectionnait tant et dont l'unique fenêtre arrondie lui permettait d'admirer l'astre de nuit. La lune était pleine ce soir-là et paraissait immense et étincelante. Elle en était presque hypnotique... Mais pas assez pour qu'elle oublie leur conversation de ce soir. En effet, elle aurait dix-huit ans demain et allait bientôt devoir quitter sa famille. Plusieurs demandes de voisins alentour avaient été faites à ses chers grand-parents or, elle n'en avait cure, car trouver un mari était bien la dernière chose qui lui tint à cœur.  C'en serait alors terminé du bonheur et de la quiétude d'une vie simple et entourée d'amour, elle en était certaine. Elle se savait trop différente de ses semblables depuis toujours, même si elle ne pouvait se l'expliquer. L'angoisse lui étreignit le cœur au moment où elle tenta d'imaginer ce qui pouvait bien l'attendre. Se marier avec l'un de ces hommes? Impossible! Et eux, comment pouvaient-ils même avoir pu faire leur demande? Quel toupet après leur attitude de ces dernières années!  Cela faisait en effet dix-huit ans maintenant qu'elle était sur cette terre et qu'elle ne comprenait pas ses semblables, n'adhérait pas aux idées de ces gens sans honneur, égoïstes et mauvais pour la majeure partie d'entre eux. De plus, elle avait cette capacité à ressentir l'aura des personnes qu'elle croisait et ce rien qu'à leur contact, ce qui était pour elle un véritable fardeau. Il en résultait que les gens, ne comprenant pas ses réactions étranges, préféraient se tenir loin d'elle, parlant à voix basse après qu'elle eut passé son chemin, riant ou murmurant à tour de bras sur son compte. Certains l'avaient même traitée de sorcière et en avait fait courir le bruit. Mais peu lui importait. Elle avait son monde à elle, était liée à bien plus beau et profond que tout cela et ne l'aurait échangé pour rien au monde. Demain serait un autre jour, il y avait bien une solution, comme toujours... Et sur ces rassurantes pensées, elle s'endormit paisiblement.

     


     «La nuit était noire et profonde, la tempête grondait. Elle entendit des cris dans l'obscurité comme chaque fois, des hurlements déchirants et la scène d'horreur se déroula une fois encore devant ses yeux. Elle put voir à nouveau ce meurtre violent, cette lumière aveuglante qui jaillissait de la poitrine de ce nourrisson, réduisant en poussière la meurtrière... Cette fois cependant, le cauchemar ne s'arrêta pas là.  Raven vit la femme qui ressemblait trait pour trait à sa grand-mère se saisir du bébé avant qu'il ne tombe au sol. Elle le protégea immédiatement de son corps, au cas où une autre personne mal intentionnée aurait eu l'idée de l'attaquer une seconde fois. L' homme qui avait assisté à la scène était là, comme pétrifié, les yeux exorbités par l' horreur. Il regardait tour à tour la femme éventrée sur le lit et les restes de la femme réduite en un amas de cendres, que le vent de la tempête s'infiltrant sous les portes et fenêtres faisait voler à présent dans la pièce. Les autres femmes sanglotaient, sans réaction devant ce carnage. Puis d'autres personnes entrèrent précipitamment dans la pièce, alertées par les bruits et tout ce petit monde sortit enfin de sa léthargie.


        - N'avancez pas! cria la sage-femme qui ressemblait étrangement à sa grand-mère. Vous ne la toucherez pas! Je vais partir avec cette enfant et vous me laisserez faire!


    Le père la regarda sans mot dire, comme hébété puis, l'air écœuré lui lança :


        - Partez! Partez vite avant que je ne change d'avis! Dégagez cette monstruosité de ma vue, elle a tué ma femme et ma mère! Que je ne croise plus jamais son chemin...


    La femme se rua à l'extérieur, serrant le petit être contre elle. Elle l'enveloppa de son châle pour qu'il n'aie pas trop froid et se rua le plus vite possible hors de cette maison maudite. Elle préférait braver la tempête que rester dans ce manoir, premier témoin de ces horreurs et surtout s'éloigner à tout jamais de cette famille de déments. La tempête faisait rage au-dehors et le vent glacial fouetta son visage échaudé quand elle ouvrit la porte pour sortir. Un cri étrange se fit entendre et elle aperçut sur la rambarde de l'escalier, un corbeau au noir plumage qui la regardait étrangement. Elle aurait dû trouver cela bizarre et inquiétant, pourtant elle se sentit comme rassurée. Puis, elle prit conscience que la petite ne disait rien, ne pleurait pas. Elle eut un instant peur pour sa vie, mais en la regardant et en la touchant, elle vit que le bébé avait l'air d'aller bien. C' était comme si ce petit être savait qu'elle essayait de lui sauver la vie et prenait son mal en patience pour l'aider en ce sens. Quelle drôle de sensation! Comment allait-elle pouvoir tenir durant leur fuite à travers les éléments déchaînés, alors qu'elle n'avait rien de plus chaud pour la couvrir? Entendant des pas rapides résonner dans les escaliers, l'étrange oiseau prit son envol et elle l'imita à son tour. Elle se mit à courir aussi vite qu'elle le put vers la forêt, prenant ainsi le chemin de sa petite masure. Elle peinait pour avancer, la boue au sol la faisait déraper et le vent la ralentissait. De brusques bourrasques risquaient à tout moment de la faire chuter et c'est grâce à d'intenses efforts qu'elle réussit à se maintenir debout et à finalement atteindre l'orée du bois. Pendant tout ce temps, l'oiseau avait volé au-dessus d'elles en cercles concentriques et ne s'était arrêté qu'une fois son pied posé à l'entrée de la forêt. A cet instant précis, le vent et la pluie tourbillonnants cessèrent, le corbeau se posta sur la branche d'un arbre devant elles et elle sentit une douce chaleur les envelopper. Se sentant en sécurité, elle s'arrêta pour prendre le temps de regarder la petite et en voyant ses cheveux d'un noir de jais qui tapissaient déjà son petit crâne, elle lui sourit et lui dit :


        - Tu as les cheveux aussi noirs que le plumage de ce corbeau, je vais t'appeler Raven ma chérie! Tu ne crains plus rien avec moi, je te ramène à la maison!


    Le corbeau perché poussa alors un long cri, comme pour acquiescer à ces paroles, puis s'envola à nouveau... »


    Raven se réveilla en sursaut. Elle était en nage et perturbée, tant ce rêve lui avait paru réel. Et que pouvait bien y faire sa petite mamie? Pour se rassurer, elle se répéta que les rêves étaient toujours tirés par les cheveux et qu'elle devait donc se calmer. Pourtant, la scène ne la quittait pas et elle ne put se rendormir.
    Au petit matin, lors du petit déjeuner,  sa mine tirée ne passa pas inaperçue.


        - Eh bien, la nuit n'a pas été bonne ma chérie? La questionna sa grand-mère.


        - Pas terrible mamie, j'ai encore fait cet horrible cauchemar... Je le fais depuis longtemps et c'est toujours le même. En plus, cette fois, tu étais dedans... soupira-telle tristement.


    La vieille femme tressaillit et jeta un regard inquiet vers son mari, qui haussa les épaules.


        - Et quel est ce si terrible cauchemar qui t'a empêchée de te reposer? Lui demanda-t-il avec un gentil sourire. Tu sais que ce ne sont que des rêves, il ne faut pas trop les prendre à cœur, Raven!


        - Je le sais Papy, mais celui-ci revient sans cesse et il est atroce, je te jure.


    Elle se mit alors à le leur raconter en détails. A la fin, elle leva les yeux et les regarda. Ils étaient comme statufiés et la fixaient avec une étrange lueur au fond des yeux.


        -  Eh bien alors, vous aussi il vous perturbe à ce que je vois? Leur dit-elle en plaisantant, afin de mettre fin au silence pesant.


        - Raven, il faut que nous parlions, lui dit sa grand-mère d'un ton grave qu'elle ne lui connaissait pas.
    Elle sentit alors un frisson désagréable lui parcourir la colonne vertébrale...


    Elle prit place à ses côtés, sentant étrangement que le moment était grave et que ce qu'elle allait apprendre risquait de ne pas lui plaire. Elle n'avait jamais vu ses grand-parents ainsi.


        - Ecoute ma chérie, nous te devons la vérité maintenant que tu es en âge de l'apprendre et que de toute évidence, elle s'impose à toi, lui dit sa grand-mère d'un ton très doux. Ce rêve que tu viens de nous raconter n'en est pas véritablement un. C'est en réalité un souvenir, celui du jour de ta naissance. Et même si je n'aurais jamais imaginé que ce soit possible de se rappeler de choses aussi précises à cet âge, tout ce que tu as vu s'est bel et bien passé. Nous ne sommes pas tes grand-parents par le sang et je suis bien cette sage-femme qui t'a emportée avec elle cette nuit  terrible...
    Le choc fut rude. Si elle n'avait pas été assise, elle se serait très certainement effondrée. Et tout-à-coup, l'horreur s'imposa à elle.


        - Mais, cette femme avec son scalpel qui en tue une autre et a essayé de tuer ce bébé innocent, ce n'est pas possible! Si c'est vrai, cela veut dire que je suis un monstre moi aussi et que j'ai tué quelqu'un ! S'écria-t' elle, torturée par les visions qui affluaient.


        - Ma petite fille, tu n'as rien fait de mal, tu n'étais qu'un tout petit bébé. Et c'est ta vraie grand-mère paternelle qui a voulu te tuer, tu n'as fait que te défendre inconsciemment, toi ou la chose qui te protégeait... J'avoue ne pas tout comprendre encore aujourd'hui. En tout cas, la seule chose que je peux te dire ma chérie, c'est que tu es spéciale. Tu as la protection des animaux, de la nature et des éléments. Ce sont eux qui m'ont aidée à nous enfuir dès que j'ai quitté cette maison démoniaque, j'en suis témoin. Tu crois vraiment qu'ils auraient aidé un monstre?


    Raven s'était mise à sangloter durant ce discours, même si ces dernières phrases résonnaient en elle. Elle savait en effet qu'il y avait quelque chose d'anormal chez elle depuis son plus jeune âge et que la nature, les animaux et elle ne faisaient qu' un.


        - Je dois aller faire un tour, j'étouffe... Elle se leva vivement, faisant basculer sa chaise qui se renversa. Sans prendre le temps de la redresser, elle partit en courant, portée par sa douleur...


        - Mais que suis-je, bon sang? Gémit-elle une fois arrivée.


    Elle s'était ruée vers la forêt sans y penser, ne s'arrêtant qu'au bord du majestueux lac qui s'y trouvait. Échevelée, perdue, à bout de souffle, elle s'était effondrée au pied du magnifique chêne sans âge qui se dressait fièrement au bord de l'eau. Là, elle avait enfin pu lâcher le flot larmoyant qui lui comprimait la poitrine. Puis les faits lui étaient revenus de plus belle. Elle n'était qu'un monstre, capable de réduire un autre être humain en poussière... Comment était-ce possible? Et si elle avait fait du mal ou pire à ses grand-parents? Comment pouvait-elle être sûre de ne pas être un danger pour eux dorénavant? Elle n'avait de cela aucune certitude, ne sachant même pas comment elle s'y était prise et là était bien le problème. Dire qu'ils n'étaient même pas de sa famille mais qu'ils avaient pris ce risque pour la sauver de sa terrifiante aïeule...
    Tout un tas de questions affluaient dans son esprit chamboulé: si tout ceci était vrai, cette femme éventrée était donc sa mère et celle qui l'avait tuée, sa grand-mère? L'homme brun devait donc être son père mais dans ce cas, pourquoi avait-il laissé faire toutes ces horreurs sans réagir? Comment pouvait-on vouloir attenter à la vie d'un nourrisson juste parce qu'il n'était pas le garçon tant désiré? Il fallait être fou et là folle en l'occurrence! Mais toutes ces interrogations restèrent sans réponse...
    La seule chose dont elle était certaine, c'est qu'elle n'avait rien à faire dans ce monde où elle était une danger pour les autres et surtout pour sa famille qu'elle aimait tant. Car malgré tout, ils restaient sa seule famille et elle ne pourrait jamais se pardonner de les blesser, voire les tuer dans le pire des cas, même par accident... Convaincue de tout ceci, le désespoir lui étreignant le cœur, elle se leva et s'approcha de l'eau. Sous ses pieds, elle sentait la fraîcheur du sol encore imprégné de l'humidité de la nuit et la douceur de l'herbe sous ses pas. Les feuilles du grand chêne bruissaient au gré du vent, ses branches se balançant lentement. La légère brise qui soufflait faisait onduler la surface du lac. Les oiseaux pépiaient, tout était calme et paisible, à l'opposé de la tempête qui faisait rage en elle.
    Elle plongea un pied dans l'eau froide. Un frisson remonta le long de son échine, puis un deuxième. Elle se mit à avancer, l'eau grimpa lentement le long de ses jambes, atteignit bientôt ses mollets, puis ses cuisses... Jusqu'au moment où elle ne sentit plus rien que le vide sous ses pieds. Elle se laissa alors couler dans les profondeurs glaciales, attendant que l'oubli vienne l'emporter... Au bout d'un moment, elle sentit l'oxygène commencer à manquer. La panique l'envahit tout à coup et avec elle, la réalité de cette fin atroce. N'y tenant plus, elle ouvrit la bouche, sentit l'eau s'engouffrer dans sa gorge et envahir ses poumons. Une douleur terrible éclata dans sa poitrine, sa vision se troubla, la mort allait bientôt l'emporter, elle le savait...
    C'est alors qu'une lumière dorée jaillit d'entre ses seins, illuminant les profondeurs ténébreuses et glacées. Le liquide qui l'enveloppait se mut, comme animé d'une conscience propre. Il prit la forme d'un tourbillon et la souleva jusqu'à la surface. La tornade d'eau qui l'enveloppait s'y déplaça alors lentement, glissant sur le lac jusqu'à la berge. Une fois la rive atteinte, elle s'évapora lentement en la déposant délicatement sur la terre ferme, ne laissant qu'une légère brume flotter sur le lac. Elle se mit à tousser, crachant et hoquetant, régurgitant toute l'eau qui s'était accumulée dans sa poitrine. Puis elle sentit enfin l'air réintégrer ses poumons et avec lui la vie réintégrer son corps. Apparemment, la mort n'avait pas voulu d'elle cette fois encore...

     

      
    A suivre....

     

                                                                                                   Cocomilady